Capital social

Le style industriel est tendance aux Pays-Bas. Des usines désaffectées ne sont pas détruites mais restaurées et deviennent des endroits à la mode. Ainsi, une fabrique de biscuits est devenue un centre culturel, un château d’eau abrite un hôtel, une ancienne usine de cacao accueille une nouvelle génération d’entreprises, souvent innovantes, souvent petites, souvent composées d’une seule personne.

Car s’installer à son compte est une autre tendance aux Pays-Bas. De plus en plus de néerlandais abandonnent la garantie d’un salaire pour plus de flexibilité et de liberté en devenant travailleurs indépendants sans personnel, ce qu’on appelle ici les ZZP’ers.

Certains aiment travailler chez eux, d’autres depuis un bureau fixe et enfin une troisième catégorie opte pour un bureau flexible. Du fait de la croissance du nombre de ZZP’ers, des lieux où louer par heure une salle de réunion ou un poste de travail ont été créés.

Des S2M s’ouvrent également aux quatre coins du pays. S2M veut dire SeatsToMeet, traduire « sièges pour se rencontrer ». Dans les S2M, il est possible de louer une salle de réunion ou de réserver un poste de travail gratuit.

Poussée par la curiosité, j’ai réservé un poste de travail au S2M au Strijp-S à Eindhoven. Le Strijp-S est un ensemble d’anciennes usines de Philips. Le Strijp-S est le nid de nombreuses start-ups. Il est possible de faire du shopping de produits design, comme des abat-jours en carton ou des sacs à main en liège recyclé. Dans un café, on peut manger un bagel bio à l’houmous en buvant un jus de mangue-aloès, sur une table en bois récupéré, en regardant déambuler des barbus en chemise de bucheron.

J’aime l’énergie créative de ce lieu. J’allais y écrire cet article.

La réservation s’est faite sur Internet. J’ai choisi la date, l’heure d’arrivée et de départ pour un montant de 0€. L’option thé et café a été sélectionnée automatiquement pour 0€. J’ai pu choisir également de déjeuner pour 0€. Au total, ma facture s’élevait à 0€, pour un poste de travail pendant 4 heures, internet illimité, des boissons et un déjeuner.

En contrepartie, je m’engageais à participer au capital social. Car là est la clé du concept. L’idée est que chacun mette à disposition ses compétences et soit prêt à s’entraider.

Le jour J, à la réception, j’ai pu savoir qui était présent et quelles étaient les compétences auxquelles je pouvais faire appel. Ma présence et mes compétences avaient également été annoncées.

Arrivée dans l’open-space, je me suis assise à la dernière place disponible, à côté d’un gars absorbé par son écran, les écouteurs plantés dans les oreilles. Il n’a pas entendu mon bonjour. J’ai commencé à écrire. Je n’avais pas de question, je voulais juste m’imprégner de l’atmosphère et comprendre le fonctionnement du lieu. Je n’ai donc dérangé personne et personne n’a eu l’air intéressé par mes connaissances en français et en marketing.

Au déjeuner, je me suis sentie coupable : je mangeais à l’œil sans rien offrir en contrepartie. J’ai eu envie de faire résonner mon couteau sur mon verre de lait : « pour du français ou du marketing, c’est par ici ».

A la place, je me suis glissée derrière mon texte en rapprochant ma bouteille d’eau pour ne pas envahir le territoire de mon voisin. J’ai eu l’impression que les présents étaient là pour travailler et non pour échanger. Etais-je tombée le mauvais jour? Etais-je fermée aux autres ?

Autour de la table surpeuplée, j’ai vite eu trop chaud, envie d’ouvrir une fenêtre, de bouger, de marcher, de m’étirer. J’ai commencé à regarder l’heure, à compter les minutes. Je m’étais inscrite pour quatre heures, j’allais rester quatre heures.

De retour chez moi, j’ai réfléchi à la raison de ma gêne : je n’étais pas une ZZP’er avec un besoin d’aide pour ma comptabilité ou ma communication. Je voulais juste écrire un article. J’ai espéré que le concept attire et attirera aussi des personnes en recherche d’échanges et de d’entraide car quel noble principe que de placer l’humain avant l’argent.

Finalement, j’ai réécrit mon article à la maison, la fenêtre ouverte, assise sur mon ballon de fitness. Ma prochaine visite au Strijp-S sera pour goûter un bagel, payant, probablement le poulet grillé-truffe.

strijp-s_od_capital-socialStrijp-S à Eindhoven


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2 réflexions sur “Capital social

  1. on aurait bien besoin en France de s’inspirer de tels pratiques et de moins se regarder le nombril en s’ouvrant aux autres mais moi-même en suis-je capable avant de juger??? merci par ton blog de me permettre au moins d’y réfléchir…

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  2. A l’heure des économies collaboratives, du succès des airbnb et uber , le partage devient le maître mot. Partage du savoir faire, des outils, des idées. Quel bel exemple lorsque les institutions en font siens le concept et mettent à disposition un lieu gratuit pour la communauté du partage.

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