Invisible

Depuis 2 ans, je lutte contre l’invisibilité. Comme 65 millions de personnes dans le monde, je souffre de covid long. J’entends souvent : « vraiment ? Tu as l’air en forme pourtant ! » J’ai l’air, mais je suis une dame de 79 ans dans l’enveloppe corporelle d’une femme de 49.

Lorsque j’ai attrapé le covid en 2022, j’ai été enrhumée et enrouée. Je n’ai pas eu de fièvre. Mais rapidement, j’ai été incapable de monter deux étages sans faire une pause au premier. Une main immense est venue me serrer la poitrine et me voler mon air. Je souffrais de maux de tête et de vertiges. J’étais épuisée, d’une fatigue qui cloue au sol. Après quelques examens et un questionnaire, ma généraliste a rapidement posé le diagnostic. On m’a alors demandé : « mais tu es sûre que ce n’est pas un burn-out ? » Oui, car lors d’un burn-out, on peut équilibrer la fatigue intellectuelle par une activité physique. Je ne pouvais presque plus marcher. Faire le tour du pâté de maisons m’assurait une nuit sans sommeil à étouffer dans mon lit. « Mais tu es sûre que ce n’est pas une dépression ? ». Oui, car j’ai toujours gardé mon désir de vivre, de pratiquer le sport, de voyager, d’écrire. Si je pleurais, c’était d’épuisement et de frustration.

Face à ce diagnostic, en 2020, les médecins poussaient les patients à pratiquer le sport. Ces derniers s’épuisaient et leurs symptômes s’aggravaient. Puis une étude a montré que les muscles des patients covid long ne récupèrent pas. Il est à présent conseillé de rester sous ses limites. Mais comment rester sous ses limites lorsqu’on ne les connaît plus et que l’on souffre d’ESPE (exacerbation des symptômes posteffort) ? En effet, on surréagit à l’effort 24 à 72 heures plus tard. Par exemple, si je vais marcher une distance plus longue que d’habitude, les symptômes de maux de tête, d’épuisement et d’étouffement vont être aggravés quelques jours plus tard.

Je lis de nombreuses recherches publiées aux quatre coins du monde et je mets en place de nouvelles solutions qui me font gagner à chaque fois quelques pour cent d’énergie. En rampant, j’essaye de m’extirper de ce marasme qui avale tellement de patients et les rend lentement invisibles.

Une des solutions est de lutter contre l’injonction : « il faut te pousser ». J’ai dû adopter la stratégie du hamac : lâcher prise, me reposer et dire « non ». Le tout sans culpabiliser. Est-ce que j’y arrive ? Parfois. Est-ce que c’est facile ? Non, car je deviens une autre version de moi-même.

Lorsque je parle de ma santé à des Français, je ressens une pointe de jugement et dans le ton, sans que les mots soient prononcés, le fameux « tu t’écoutes trop ». Aux Pays-Bas, je me sens plus comprise. Ici, l’opinion publique a découvert que le corps des patients atteints de covid long est un beau merdier. La maladie est enfin reconnue comme physiologique.

« Et le travail ? », vous allez me demander. J’ai été accompagnée par le médecin du travail, un kinésithérapeute, une ergothérapeute, une diététicienne, le service RH, mon directeur et mon équipe. Dans un dialogue ouvert et permanent, avec une progression en dents de scie, j’ai travaillé au début 2 heures par jour, puis j’ai lentement augmenté mes heures. J’ai changé ma journée de mi-temps du vendredi au mercredi pour pouvoir me reposer en milieu de semaine. Aujourd’hui, je retravaille mes 32 heures, un peu au bureau, beaucoup depuis la maison, et en fonction de mon énergie. J’ai accès au bureau à une salle de repos où je peux m’enfermer et m’isoler au calme. Tout le monde accepte que je quitte les réunions au bout de deux heures. J’ai élargi l’amplitude de mes journées de travail avec une vraie pause déjeuner et une sieste, tandis que mes collègues font une journée continue. Mon équipe et ma hiérarchie savent que j’effectue mon travail et que le résultat n’a rien à voir avec le présentiel et le respect d’horaires précis.

Je ne suis pas guérie, mais grâce à la reconnaissance et la flexibilité que les Pays-Bas et mon employeur m’ont apportées, je ne suis pas devenue invisible.

Covid long aux Pays-Bas

Coucher de soleil sur la Meuse aux Pays-Bas


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2 réflexions sur “Invisible

  1. Bonjour,

    Française habitant en France, j’ai mis les pieds pour la première fois aux Pays-Bas en 2016 à l’occasion de vacances. Ce fut un coup de foudre. Je me suis intéressée au fonctionnement de ce pays, aux traditions, curieuse de comprendre les habitants de ce pays.

    J’y suis retournée à plusieurs reprises, tombant chaque fois un peu plus sous le charme. Puis je suis tombée un jour sur votre blog ( en 2018? ). Quel plaisir de lire vos chroniques! Chaque nouvelle parution renforçait l’idée qu’un petit bout de mon cœur était rattaché à ce Pays. Je tiens donc à vous remercier pour cela.

    Aussi, je comprends mieux pourquoi vos parutions se sont faites rares. Je le comprends d’autant plus car je suis touchée également par un Covid long et ce depuis 2 ans. Effectivement, le syndrome post-Covid n’est pas vraiment compris en France (ça progresse). Effectivement, lâcher prise et prendre le temps et soin de soi semblent être les meilleures solutions.

    Je vous souhaite un rétablissement doux et serein.

    Au plaisir de vous lire.

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