Aimer son pays d’adoption, être intégrée et parler la langue n’empêchent pas d’avoir parfois le mal du pays.
A la rentrée, j’ai eu un énorme blues, pas le petit coup de mou du retour de vacances les deux ou trois premiers jours, où on traîne ses pieds douloureux dans des chaussures fermées après trois semaines de tongs. Non je parle d’un vrai gros blues qui vous cloue au lit, les yeux humides et une pierre coincée dans l’estomac. Presque un chagrin d’amour, du genre « une seule terre vous manque et tout est dépeuplé ».
Je venais de quitter mes montagnes, de ranger mon opinel que je n’ose pas sortir aux Pays-Bas de peur de me faire arrêter pour port d’arme, de télécharger mes photos que je parcourais sans les voir, les courbes des sommets encore imprimées sur la rétine. Je me suis alors interrogée sur ma situation. Lorsque l’on s’expatrie, on accepte d’être étranger et donc parfois étrange. Cela fait partie de notre identité. On a comme un choc de génération avec le pays où l’on vit, même si à force d’ouverture on commence même à connaître les origines d’expressions qui proviennent de séries du début des années 90, alors que l’on était encore au collège dans l’Hexagone. Lorsque l’on rentre en France, on est aussi décalée, comme si on se réveillait d’un long sommeil. Mon père m’a appris qui sont Christine & the Queen et Jain. « J’aime beaucoup », il m’a dit. Ma mère m’a expliqué qu’à l’exception de La Grande Librairie, la télévision française pullule d’émissions d’inutiles qui ont pour seul talent de critiquer en ricanant le talent des autres. « Ҫa m’énerve », elle m’a dit.
Ce n’est pas la culture qui me manque, c’est la terre.
C’est me pencher sur une Top 25 du pays de mon enfance pour ne plus suivre les chemins balisés pour moi par mes parents. De la même manière qu’à la quarantaine on se réapproprie sa vie, je me suis réappropriée les possibilités de randonnées en m’exclamant : «Tiens, là, il y a une grotte. »
C’est marcher des heures en montagne et pouvoir encore être surprise.
C’est m’asseoir sur une pierre plate, au pied du frêne, face aux montagnes, un cahier sur les genoux, me relire et me dire que ça fait longtemps que je n’ai pas si bien écrit.
C’est sentir les rayons qui piquent les joues, entendre le bruissement du vent dans les branches, caresser le calcaire, m’imprégner de l’odeur douce et sucrée d’une forêt de conifères et me dire qu’ici, maintenant, je suis à ma place.
Je ne vous parle ni du cœur, ni de la raison. Le mal du pays vient des tripes.
Alors au lieu de me morfondre trop longtemps, je me suis plongée dans les livres de randonnées néerlandaises, j’ai attrapé mon sac à dos, mes chaussures de marche et je suis partie arpenter de nouveaux chemins. Il y a de belles promenades à faire, de jolis paysages à découvrir. Mais les Pays-Bas ont une superficie équivalente à la région Rhône Alpes et comptent 17 millions d’habitants. Avec une densité de population extrêmement élevée, les espaces de nature sont restreints et suraménagés. Une carte n’est pas nécessaire, tout est balisé. Certains chemins sont réservés aux cavaliers, d’autres aux randonneurs et enfin d’autres aux vététistes. Une randonnée du dimanche est synonyme de recherche de place de parking et d’affluence. Même si on se perd, la civilisation est toujours proche.
Et là est le problème. On croise toujours une route goudronnée ou on entend l’autoroute ou on a des avions qui nous passent au-dessus de la tête. Aux Pays-Bas, je peux assouvir mon besoin de fatigue physique mais même dans la nature, j’ai l’impression d’étouffer.
La vie reprend. Le mal du pays s’est atténué car j’ai réservé mon prochain billet d’avion. Etre expatriée, c’est aussi être souvent entre un retour et un départ. Je peux à nouveau me concentrer sur le positif que m’apportent les Pays-Bas car je sais que dans quelques semaines je vais pouvoir à nouveau respirer l’humus de ma terre natale et assouvir mon besoin primaire d’espace et de silence.
Mookerheide – Randonnée dans des champs de bruyère
Enfin quelqu’un qui a le même ressentit que moi le calme des montagnes mais aussi l’odeur de la mer, les pieds enfoui dans le sable chaud, la chaleur du sud. En ce moment me manque les belles grosse chataignes, les champignons et balade en forêt. Pas facile parfois malgrés tout nos efforts.
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