La cigale et la fourmi

9 heures. Lundi matin.

Je pousse la porte du café et balaye la salle du regard. Si j’avais prêté plus attention à la quantité de vélos sur le trottoir, je ne serais pas étonnée par l’affluence. A une grande table carrée quelques places sont encore libres. Je m’y installe et commande un thé. Le papier-peint m’intrigue. D’ailleurs, ce n’est pas un papier peint, mais un mur recouvert de filtres à café. Des plantes pendent au plafond. Un petit aquarium est posé sur la table.

Autour de moi sont installées des personnes qui sont en train de travailler. Le Mac ouvert, elles tapent, prennent des notes, passent des coups de téléphone, discutent. Les filles portent des chemisiers fleuris et un chignon en désordre, les garçons des baskets et une barbe d’une semaine.

Ils ont fait de ce café leur lieu de travail. Ils sont comme moi ZZP’er. ZZP veut dire Zelfstandig Zonder Personeel, traduire indépendant sans personnel. Je travaille de chez moi, mais ce matin, j’ai un rendez-vous professionnel. En tant qu’indépendante, pour la prospection, rien ne vaut le réseautage.

En France, lorsque l’on dit que l’on a créé sa boîte, on lit les regards admiratifs. Il faut dire qu’être indépendante en France engage déjà des charges avant même d’avoir gagné son premier centime. Ici, les impôts sont en fonction des revenus. Le pays favorise la flexibilité du travail. La prononciation du mot ne génère pas de grèves. Au contraire, le nombre de personnes qui s’installent à son compte est même en pleine explosion, car cette option offre flexibilité et liberté.

Car « la liberté existe toujours. Il suffit d’en payer le prix »*.

Le prix qu’il faut payer est la gestion d’un site web, d’une comptabilité, d’un plan de communication, de la prospection, des devis, des négociations. Je suis ZZP’er depuis presqu’un an et j’ai déjà énormément appris.  

Le prix aussi est que je dois m’habituer au manque de continuité et de sécurité. Aux Pays-Bas, tu prends à court terme moins de risques financiers car tu es libre de t’assurer ou non, de cotiser à une retraite complémentaire ou non. Certains choisissent d’ailleurs de ne pas préparer leur avenir. Il faut cependant savoir que la moitié des indépendants ont moins de 35 ans. Moi j’ai passé la quarantaine, je ne compte plus mes cheveux blancs, j’ai besoin d’un saladier de café pour arriver à démarrer une journée, j’ai deux enfants alors je pense à l’avenir. Cette liberté que j’ai aujourd’hui, l’aurais-je encore lorsque je serai plus âgée ? C’est l’incontournable histoire de la cigale et la fourmi.

Sans douter de ma valeur ajoutée, je cherche ma voix (oui, avec un x). Quel type d’entrepreneur veux-je être ? Quelle forme vais-je donner à cette liberté ? Mon compte Facebook est de plus en plus pollué par des publicités de ZZP’er qui sont coachs. Toutes les publicités se ressemblent : une personne assise derrière un ordinateur portable travaille dans un intérieur design ou au bord d’une piscine et sourit à l’objectif. Aux Pays-Bas, la moitié de la population coache l’autre moitié de la population. On a un coach pour le travail, pour le sport, pour la diététique, pour gérer ses enfants, pour organiser ses placards. Par le biais des média sociaux, tout le monde veut montrer à quel point il a du succès. A la moindre rencontre avec un client, paf il y a des photos et une phrase accrocheuse. Qui essayent-ils de convaincre ? Leurs clients potentiels ou eux-mêmes ?

Cet exhibitionnisme me dérange et manque d’authenticité. Dans ce panier de crabe des ZZP’er comment se distinguer ?

J’ai bien sûr un site web, un compte LinkedIn, un compte Facebook professionnel, mais il est hors de question de tenir un journal de mes activités. Si j’ai une discussion avec une amie, je ne vais pas la partager sur Internet. Je considère qu’une relation professionnelle doit être basée sur la confiance et la confidentialité et être envisagée avec le même respect qu’une amitié.

Malgré ces doutes et questionnements et sans savoir où me mènera cette aventure, j’essaye déjà de profiter du voyage.

Et du thé.

Et de l’ambiance.

En attendant mon rendez-vous.  

Mais , chuuut, je ne vous dirai pas avec qui.

CoffeeLabCoffeeLab à ‘s-Hertogenbosch

* Henry de Montherlant 

Une réflexion sur “La cigale et la fourmi

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