C’est comme cela

Il y a une dizaine d’années, un de mes collègues, Grec, la soixantaine, m’avait raconté sa frustration : tandis qu’il commençait à compter le nombre d’années qu’il lui restait à travailler, il avait reçu un courrier de l’administration néerlandaise lui annonçant que l’âge de la retraite allait être reculé et qu’il allait devoir travailler plus longtemps. Son sang de méditerranéen n’avait fait qu’un tour et il était arrivé au bureau prêt à protester, faire la grève et entraîner tout le service dans le sillon de la révolte, que dis-je, de la révolution.

La réaction obtenue auprès des collègues n’avait pas été celle escomptée : dans un vague mouvement d’épaule, on lui avait répondu « la population vieillit et ces mesures sont nécessaires sinon on ne pourra plus financer les retraites. C’est comme cela. ». Bref, une bonne réponse pragmatique de Néerlandais. Il s’était résigné et avait repris son compte à rebours.

Quelques années plus tard, il avait reçu un nouveau courrier lui annonçant que l’âge de la retraite était à nouveau repoussé. Même colère, même envie de monter sur les barricades et, une fois au bureau, même mouvement d’épaule et même réponse : « c’est comme cela ».

Pour les Néerlandais, le bien commun dépend de l’effort de chacun. Ici, toutes personnes nées à partir de 1958 n’auront pas le droit à la retraite avant 67 ans, soit cinq ans plus tard qu’en France, et à partir de 2025, l’âge de la retraite sera en fonction de l’espérance de vie. Donc on ne saura que cinq ans avant la retraite, quand on peut partir à la retraite. C’est écrit noir sur blanc sur le site Internet de l’Etat néerlandais. « C’est comme cela ».

Et malgré cette résignation, 2019 a été rythmée par des manifestations et par quelques grèves. A croire que les Néerlandais se sont dit : quitte à devoir travailler longtemps autant que ce soit dans de bonnes conditions. Ils ont découvert la révolte. Outre les marches pour le climat, les manifestations d’agriculteurs ou du personnel soignant, les enseignants ont fait grève. Ces derniers demandent plus de moyens pour un meilleur enseignement. Ils ont fait – attention chose exceptionnelle, j’espère que vous êtes assis – trois jours de grève sur l’année : le 15 mars, le 13 avril et le 6 novembre. Pour chacune des grèves, nous, les parents, avons été prévenus à l’avance. En tant que Français, vous imaginez donc qu’au lieu de trouver un papier scotché sur la fenêtre un mardi à 8h20, nous avons été prévenus la veille à 16h30. Et bien non, nous avons été informés au moins trois semaines à l’avance. En 2019, les enseignants ont obtenu quelques moyens supplémentaires, mais les différences de salaire existent toujours entre les enseignants du primaire et ceux du secondaire tandis qu’ils ont le même niveau d’étude. En conséquence, le pays manque d’instituteurs.  Alors cette année, les 30 et 31 janvier, la moitié des écoles primaires des Pays-Bas étaient fermées pour grève. Le Directeur de l’école de notre neuf-ans nous a même invité à venir manifester à leur côté.  Malgré les bas salaires et la lourdeur administrative, ils veulent aussi montrer que c’est par amour de leur métier qu’ils manifestent.

L’objectif n’a donc pas été de prendre en otage la population mais plutôt d’obtenir la sympathie et le soutien. Ils ont multiplié les actions comme distribuer des prospectus rappelant qu’enseigner est un beau métier, tout en chantant « la connaissance est un médicament d’intérêt public. Être prof, c’est cool ». Mais voilà, les grèves étaient un jeudi et un vendredi ce qui a donc fait les affaires des parcs d’attractions et le bonheur des parents, heureux d’avoir un viaduc en plein mois de janvier sans avoir à attendre le mois de mai pour partir un long week-end en famille.

Samedi matin, je me réjouissais de pouvoir vous faire une belle photo de la une de tous les journaux où l’on aurait vu parents, enfants et prof main dans la main. Mais, rien. L’information n’était pas couverte. Les photographes de presse sont-ils aussi partis en week-end avec leurs enfants ? Les Néerlandais seraient-ils déjà fatigués des grèves ? Ou se disent-ils déjà, « c’est comme cela » ?

Biographie et contact

Retrouvez les Petites Chroniques des Pays-Bas
réunies dans un recueil

Commander

2 réflexions sur “C’est comme cela

  1. Fantastique chronique qui devrait faire réfléchir les français. C est formidable de vous lire. Si vous voulez faire une chronique sur Texel vous êtes la bienvenue pour passer quelques jours à la maison en famille, j ai aussi une 6 ans et un 3 ans ! Si ça vous intéresse jule2000es@yahoo.fr

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s