Bon sens hollandais

« Néerlandais, prenez-soin les uns des autres.
Je compte sur vous »

L’immuable sourire a disparu du visage de Mark Rutte, le Premier Ministre Néerlandais, lorsqu’il s’adresse au peuple lors d’une déclaration télévisée officielle. La dernière déclaration officielle d’un Premier Ministre date de 1973. Il faut que la situation soit grave, et elle l’est, pour que ce mode de communication soit utilisé aux Pays-Bas.

Deux semaines plus tôt, le premier cas de Covid-19 était déclaré aux Pays-Bas, dans notre région, le Brabant. Le pays et le gouvernement ont d’abord été dans le déni se prévalant de leur fameuse Hollandse Nuchterheid, traduire bon sens/sang-froid/sobriété hollandaise, prenant les choses à la légère. Au bureau, ceux qui se promenaient avec leur gel hydroalcoolique passaient pour des hypocondriaques. Le gouvernement demandait à la population du Brabant de travailler de chez soi, mais de garder les écoles ouvertes et de ne plus se serrer la main, tout en finissant la conférence de presse par une poignée de main.

Il y a dix jours déjà, nous avons commencé à respecter les mesures sanitaires à la lettre. Comme j’étais enrhumée, nous avons cessé d’envoyer nos enfants à l’école. Tandis que nous nous imposions déjà une distance sociale et une forme de confinement, d’autres continuaient à aller au restaurant « tant que c’est encore ouvert » ou d’aller à des fêtes car « ce n’est qu’une grosse grippe ». Pendant ces quelques jours de « bon sens hollandais », je fulminais contre Mark Rutte et son manque de leadership, contre le devoir d’envoyer les enfants à l’école pour que les parents puissent continuer à faire tourner l’économie, contre l’impression d’être de la chair à PIB.

Il y a une semaine, le gouvernement a enfin décidé la fermeture des écoles, des cafés et des restaurants. Mark Rutte s’adressait à la nation yeux dans les yeux.

La vie néerlandaise s’est vite organisée. Tandis que les Français confinés semblent se demander quelle leçon de yoga suivre ou quelle série regarder pour passer le temps, aux Pays-Bas on se demande: comment vais-je arriver à travailler huit heures par jour, tout en assistant les enfants avec les devoirs, sachant que cela demande trois heures par jour par enfant multiplié par deux enfants, tout en leur faisant faire de l’exercice physique comme le conseille le club de hockey qui nous a envoyé des instructions et tout en organisant la vidéo conférence avec le professeur de musique pour que les cours de guitare de notre neuf-ans puissent continuer. Ah oui et j’allais oublier : comment avoir suffisamment de papier-toilette, car les Néerlandais, ayant enfin pris conscience de la situation, ont commencé à paniquer et à faire des razzias dans les supermarchés. Mais, mardi, lors d’une visite de Mark Rutte au front (lire : dans un supermarché), il déclarait : « Il n’est pas nécessaire de constituer des réserves, les stocks néerlandais de papier-toilette nous permettent de faire caca pendant dix ans » Nous voilà rassurés.

Au terme d’une semaine, une nouvelle routine s’est instaurée. Notre treize-ans va avoir classe par vidéoconférence dès lundi matin. Après avoir pris du temps pour installer toutes les applications de l’école pour notre neuf-ans, lui avoir fait un planning précis dans Excel, elle est finalement autonome. Son instituteur nous envoie une vidéo tous les jours afin de partager le moment préféré des enfants : lorsqu’il leur fait la lecture. Pendant la vidéo, il a souvent sur les genoux ses propres enfants. Comme nous, en travaillant, lors de vidéoconférences, nous voyons régulièrement une petite main apparaître et faire coucou aux collègues. Malgré la distance physique, j’ai l’impression que des liens forts sont en train de s’instaurer entre humains qui sont dans le même bateau.

Hier, j’ai pris mon agenda et j’ai supprimé tout ce qui a été annulé : fêtes d’anniversaire, musculation, dîners, sport des enfants. Les pages se sont retrouvées vides et j’ai ressenti une grande gratitude. Tout ce temps-là est un luxe car notre vie est un luxe. J’ai pensé à tous ceux qui n’ont pas notre chance d’être sains, de ne pas être seuls et d’être heureux et en sûreté chez eux. Je me suis dit que Mark Rutte avait raison : prenons soin les uns des autres.  

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4 réflexions sur “Bon sens hollandais

  1. Ok avec Delphine, la première préoccupation a été de s’organiser pour que les enfants continuent les programmes scolaires – ils ont des planning sur la journée, la semaine et le sport est prévu, Ils ont des entretiens vidéo réguliers avec leurs enseignants. Les parents en télétravail ont du pain sur la planche et ne se posent pas trop la question de savoir s’ils vont pouvoir faire « du yoga » ou « regarder une série » à la télé!

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  2. Merci pour vos réponses et l’apport de nuance.
    Depuis les Pays-Bas, j’avais l’impression que la France entière étaient en vacances de Pâques. 🙂
    Bon courage à tout le monde.
    Prenez soin de vous.
    Restez chez vous.

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