« Avez-vous déjà été témoin ou victime dans votre carrière de harcèlement ? » Pour répondre oui, il faut avancer d’un pas. J’hésite à être honnête puis j’avance.

« Avez-vous déjà été témoin dans votre carrière de propos relatif à l’origine ou à la religion pour vous-même ou un collègue ? » Encore un pas.

« Avez-vous déjà été victime dans votre carrière de propos relatif à votre physique ? » Encore un.

A ma hauteur, deux autres femmes. Je me retourne et je vois que les seuls à ne pas avoir bougé sont néerlandais, hommes et blancs.

Ce qui s’apparente à un jeu se déroule un jeudi après-midi dans une salle de réunion et s’appelle « la marche des privilèges ». Tous les employés de mon entreprise, de la réceptionniste à l’équipe de direction, ont l’obligation de suivre cette formation. L’objectif est la création d’une culture dans laquelle le harcèlement et la discrimination n’ont pas de place. À la suite de cet exercice, la formatrice nous demande si quelqu’un veut partager quelque chose. Je me lance : « c’est confrontant. Je réalise tout ce que j’ai subi en considérant que c’était inhérent à mon genre ». Un autre collègue, de ceux qui n’ont pas avancé, ajoute : « je me rends compte de la chance que j’ai ». Nous retournons nous asseoir, silencieux, visiblement pensifs, pour la suite du programme.

Sur le PowerPoint, une liste de comportements et de remarques inacceptables. Cela va de « il n’a rien compris celui-là, qu’est-ce qu’il est bête », en passant par le « pas étonnant qu’elle ait été promue, tu as vu la longueur de ses jupes ». Il nous est expliqué qu’un système de lancement d’alerte a été mis en place pour les cas graves. Mais avant d’en arriver là, nous pouvons aussi nous protéger les uns les autres avec une méthode intitulée « Intervention des témoins[1] ». En cas de situation de harcèlement ou de discrimination, il nous est conseillé quatre actions possibles, les quatre D : Différer, Déléguer, Distraire, Diriger. Différer consiste à vérifier auprès de la personne harcelée qu’elle va bien et lui apporter du soutien après l’incident. Avec Distraire, le témoin interrompt la situation en changeant de sujet. En choisissant Déléguer, le témoin n’intervient pas lui-même, mais va en parler à la hiérarchie ou aux Ressources humaines. Enfin avec le Diriger, il s’agit de s’adresser à l’agresseur et de lui rappeler que son comportement n’est pas acceptable. La formatrice nous propose de nous lever. Nous allons effectuer des mises en situation. Elle a posé sur le sol un D à chaque coin de la pièce. Elle nous présente un cas : « Le directeur des ventes dit à une collaboratrice « Tu as de bons résultats, souris, tu es plus jolie comme ça » ». Nous nous déplaçons vers le D qui nous semble le plus approprié. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. L’important est de faire ce que l’on peut à notre façon, à notre niveau hiérarchique ou humain. Depuis la formation, les blagues de mauvais goût ne fusent plus dans l’Open Space. 

Mon entreprise n’est pas une exception. Ces formations se généralisent aux Pays-Bas où le travail est considéré comme une source d’épanouissement (Lire aussi : Relever ses manches ou Baantje). Et cette méthode peut également s’appliquer en dehors du cadre du travail. Cette approche montre que, dans l’attente de changements initiés par la hiérarchie et les politiques, on peut tous agir individuellement en écoutant et en soutenant ceux qui ont le courage de parler.

Je travaille depuis plus de vingt ans et, depuis cette formation, je me dis que nous, les femmes de ma génération, en avons encaissé pour être à la place où nous sommes. Cela me rend triste, mais aussi heureuse de savoir que ma fille n’aura pas à s’adapter comme j’ai dû m’adapter, n’aura pas à accepter ce que j’ai eu à accepter. Certes, je n’oublie pas que rien n’est jamais acquis, que l’histoire se répète, mais je veux espérer. Et en me relisant, je me dis que je suis peut-être bien naïve.

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[1] Bystander training. Pour en savoir plus : https://www.activebystander.co.uk/