Au cours de ma vie, Noël a perdu de son éclat. Autrefois, nous le fêtions chez mes grands-parents. Dans le pavillon, le sapin avait été décoré, les canapés-lits avait été tirés. Papi faisait le taxi dans sa BX entre la gare TER et le pavillon embaumant la soupe. Le 25 décembre, dès 10h, la dinde était enfournée. A 11h, on déroulait le bulgomme et la toile cirée, puis la nappe rouge parfaitement repassée un an plus tôt était centrée sur la table dont on avait tiré les rallonges. Papi avait déjà été chercher le pain et la bûche à 7h30. La veille, Mamie avait préparé la purée de marrons et le vol-au-vent. Le service en porcelaine, celui rangé tout au fond du vaisselier, était sorti. Les verres à trou normand étaient placés entre les verres à eau et les verres à vin rouge. Les paquets étaient au pied du sapin. Les papiers cadeaux ne seraient pas déchirés mais délicatement ouverts au couteau et les papiers roulés pour pouvoir être réutilisés l’année prochaine.
Nos grands-parents nous ont quitté et depuis, j’ai une relation ambigue avec Noël.
Je déteste le gaspillage et le consumérisme qui accompagnent en France les fins d’années. Aux Pays-Bas, Noël est une fête certes commerciale mais les comportements restent calvinistes. Les adultes ne se font pas forcément de cadeaux et si c’est le cas, ce n’est pas l’occasion d’acheter un ordinateur, une télévision ou un bijou hors de prix. Par contre, dans un pays à l’adage « comporte toi normalement, c’est déjà bien assez fou », à Noël, question gastronomie, les Néerlandais se lâchent. C’est la seule période de l’année où l’on peut trouver dans la grande distribution des aliments tout à fait normaux pour nous les Français, comme du lapin, du canard, des macarons et en cas de grosse chance, des escargots.
La préparation des fêtes de fin d’année est aussi l’occasion pour les Néerlandais de s’adonner tous aux mêmes activités aux mêmes moments. Par exemple, le week-end après la St Nicolas est réservé à l’achat et à la décoration du sapin. Le week-end suivant est celui des cartes de vœux car ces dernières doivent arriver avant Noël. J’ai beau connaître ses coutumes, cette année j’ai eu une semaine de retard sur le reste du pays. Le sapin a été installé le week-end des cartes de vœux et les cartes de vœux… je les ai écrites la veille de Noël. Bon en même temps, je dis écrire les cartes de vœux, mais en fait il s’agit plus de signer les cartes. Tandis qu’en France, les vœux sont l’occasion de donner et prendre des nouvelles, aux Pays-Bas, on aime les cartes pré-imprimées sur lesquels il suffit d’apposer une signature. Les néerlandais sont pragmatiques.
Enfin dans presque toutes les écoles primaires du pays, l’année s’est terminée par un marché de Noël dans la cour de récréation et un dîner dans les classes. Pendant que les parents essayaient de se réchauffer au vin chaud, les enfants se régalaient d’un buffet dans leurs robes à paillettes et cravates en soie. J’ai fait l’impasse sur le vin chaud et j’ai pu profiter de l’émerveillement de la classe de ma six ans lorsqu’ils ont découvert les quiches, wraps, saucissons briochés et brochettes de tomates-mozzarella. La table des desserts a fait briller de nombreux yeux. Un petit camarade de ma six ans poussait des petits cris de plaisir à chaque passage devant l’étagère de choux à la crème. Je me suis demandé quand j’avais arrêté de pousser des cris aigus devant un framboisier ou une tropézienne. Les adultes, nous sommes devenus blasés, et nous nous comportons comme des drogués de la consommation qui augmentent les doses pour continuer à ressentir quelque chose. Nous cherchons dans cette escalade à retrouver la magie de notre enfance.
Depuis une semaine je pense au six ans devant les choux à la crème et je me dis que la magie de notre enfance n’est pas dans l’accumulation de nourriture et de biens, mais dans la capacité à s’émerveiller devant le minuscule. Et si au lieu de chercher des lingots, nous nous arrêtions un instant ici et maintenant, et que nous profitions simplement des uns et des autres pour ramasser le bonheur en petite monnaie.
De l’émerveillement devant du minuscule, ou un morceau de glace dans la main de ma six ans