Cet été, j’ai passé trois semaines en France. Comme à chacun de mes retours, j’ai pu constater à quel point le regard que je pose sur mon pays a changé.
Cette fois-ci, j’ai été frappée par toutes ces femmes françaises qui se débrouillent seules, qui travaillent, payent les factures, achètent une maison, seules. Dans un premier temps, je me suis sentie petite.
Je sais, je sais, il ne faut pas se comparer. En les observant, c’est moi-même que j’ai vu et surtout la personne que j’étais et celle que je suis devenue.
Etudiante, j’étais extrêmement ambitieuse. Je voulais diriger une entreprise, compléter ma formation d’un MBA, avoir des enfants certes mais je considérais qu’il suffirait d’une bonne logistique pour combiner carrière et éducation. Finalement, la clé du succès serait de savoir s’entourer et déléguer.
Au fil des ans, je me suis perdue dans des entreprises au paradigme masculin et j’ai découvert le tsunami émotionnel qu’est la maternité. Enfin, détail non négligeable, j’ai une relation stable. Je n’ai donc pas à assumer seule le paiement des factures. Je garde malgré tout mon côté français et féministe : je tiens absolument à une forme d’indépendance financière et je ne souhaite pas être dans l’ombre de mon cher et tendre.
Mais j’ai accepté que mon rôle pouvait être autre et que mes ambitions ont changé de forme. C’est en cela que je suis devenue Néerlandaise. Il est important de noter que le système le permet. En cas de divorce, le ou la partenaire qui ne travaille pas ou moins perçoit une pension alimentaire pendant quelques années, le temps de rebondir. De plus, une personne ayant vécu aux Pays-Bas même sans travailler se verra allouer une retraite de base. Enfin, les écoles, le soin, le sport sont des secteurs qui reposent énormément sur le bénévolat qui est courant, fortement apprécié et valorisé aux Pays-Bas (Lire: Relever ses manches). Donc on peut avoir une véritable place dans la société sans qu’elle soit mesurée en euros et on peut avoir un accident de parcours tout en pouvant compter sur un parachute.
Malgré tout, je reste tiraillée entre cette acceptation plus néerlandaise d’une autre forme d’ambitions et mon besoin français viscéral de prouver que je m’assume financièrement. Cet antagonisme est remonté à la surface lorsque mon père a eu la mauvaise idée de me dire : « depuis que tu es femme à la maison ». J’ai eu alors la vision d’une ménagère en blouse à fleurs, la mise en plis parfaite, un poulet fumant sortant du four et une soirée tupperware comme seule perspective de divertissement. Je me suis mise en colère, très en colère même. Mon pauvre père a subi mes foudres tandis qu’il a exprimé la voix des français : partir à 18 heures, c’est prendre une après-midi de congé, être auto-entrepreneur à mi-temps en travaillant principalement de chez soi, c’est être une femme à la maison. Mon ego en a pris un sacré coup puis j’ai décidé de laisser dire, penser et de ne pas attendre d’approbation pour avoir de l’estime pour ce que je fais et ce que je suis.
Aujourd’hui, je ne veux plus travailler à la croissance du profit d’une entreprise dont le seul objectif est l’enrichissement financier. Je souhaite conseiller les entreprises, les fondations, les organismes publics en les aidant à être plus créatifs, à innover, à trouver des solutions en respectant les enjeux environnementaux et de sociétés. A mi-temps. Le reste du temps, je raconte des histoires en photos, en montrant des gens de l’ombre, en les plaçant dans la lumière ; j’écris des récits qui, j’espère, inspirent sans essayer de convaincre mais plutôt en plantant de petites graines qui amènent à réfléchir ; et enfin j’essaye d’influencer le monde de demain en préparant deux futurs adultes à être des individus forts, aimés, aimants et altruistes. Je trouve que tout cela est ambitieux.
Certes, lorsque je regarde les Françaises, je les admire, je me sens petite mais je me dis que le système français ne leur donne pas vraiment le choix. J’essaye de mettre mon ego un peu en sourdine, de mesurer la chance que j’ai et de réfléchir à quelles petites graines planter pour faire évoluer les mentalités françaises.
Oeuvre réalisée par un enfant, Studio, Design Museum, ‘s-Hertogenbosch
Par réaction, depuis la culture belge, je dirais ceci : c’est le système français qui, tant par le système scolaire du CONCOURS que par le système électoral du WINNER TAKE ALL plutôt que le compromis politique (belge et hollandais), assigne cette obligation de la valorisation individuelle et cette crainte de l’échec sanctionné institutionnellement. Une mâle compétition ! Mais ne construis-je pas un cliché simpliste en disant cela ?
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