Depuis trois ans, je vous parle des Pays-Bas et du sentiment de responsabilité de sa population, mais je ne vous ai pas encore expliqué qu’il y a une exception d’un jour par an.
A partir du 28 décembre, les Néerlandais peuvent acheter des feux d’artifice non professionnels et il est autorisé de les tirer entre le 31 décembre à 18 heures jusqu’au 1er janvier à 2 heures de matin.
En principe.
Dans la pratique, pendant 24 heures la population mute et le pays se transforme en zone de guerre. Vous vous dites que j’exagère, mais il y a quelques années au cœur de la crise des réfugiés je me souviens avoir lu un article sur des Syriens qui étaient terrorisés le soir du nouvel an car les explosions leur rappelaient les bombardements à Alep.
Sans être originaire de Syrie, j‘ai découvert les Pays-Bas à l’occasion d’un jour de l’an et je me suis demandé où j’étais tombée. Après avoir rencontré des personnes bien élevées, dans leurs jolies petites maisons bien entretenues, je me suis retrouvée à minuit dans la rue pour souhaiter la bonne année aux voisins qui contre toute attente s’étaient transformés à mes yeux de nouvelle arrivante en pyromanes. L’après-midi même, tandis que je me déplaçais à vélo on m’avait déjà jeté des pétards dans les roues car les feux d’artifice s’accompagnent aussi d’une artillerie de pétards avec des détonations pouvant atteindre 120 décibels, pour les légaux. Il y a aussi tout un trafic de pétards et de feux d’artifice encore plus bruyant et encore plus dangereux.
Au fil des années, ma terreur des feux d’artifice s’est transformée en agacement car le raffut faisait passer une nuit blanche aux enfants.
Et puis les enfants ont grandi et notre treize-ans a à présent des étincelles dans les yeux rien qu’à l’idée de tirer des feux d’artifice.
Alors cette année, au lieu d’interdire, nous avons décidé d’encadrer. Ainsi, mon cher et tendre a acheté avec notre adolescent des feux d’artifice en essayant d’éviter le plastique. Ils ont mis des lunettes de protection, allumé les feux d’artifice avec une longue mèche et fait attention à ne pas porter de veste facilement inflammable. Ils ont gentiment muté. Comme tout le quartier, à minuit nous étions dans la rue et nous avons pu voir et participer à un feu d’artifice à 360 degrés pendant 20 minutes.
Il faut bien dire que c’était joli et impressionnant. Mais à côté des gentils feux d’artifice de quartier résidentiel, le soir du nouvel an a aussi connu de nombreux débordements. Les communes sont obligées de sceller les containers et les boîtes aux lettres. Les pompiers, policiers et ambulanciers passent la nuit la pire de l’année, car lors d’interventions ils sont de plus en plus souvent attaqués aux feux d’artifice. Cette année, 17 personnes ont perdu un œil, presque 400 personnes ont terminé aux urgences pour brûlure grave et un père et son fils sont même morts étouffés dans un ascenseur à cause d’un feu provoqué par un feu d’artifice tiré dans un hall d’immeuble. Et je ne vous parle pas de la pollution atmosphérique, des microparticules et des métaux lourds que l’on respire. Les personnes ayant des problèmes de poumons doivent rester enfermées avec leur Ventoline.
Dans notre quartier, le 1er janvier après avoir fait la bise aux voisins dans la fumée et trinqué au Prosecco, chacun prenait un balai pour débarrasser la rue des déchets. Le lendemain, les enfants étaient accroupis dans les buissons sac-poubelle à la main pour nettoyer les derniers restes, mais malheureusement, ce comportement n’est pas la norme.
Les Néerlandais prennent conscience que le coût humain, financier et environnemental est trop important.
Début 2020, les Néerlandais tiraient les feux d’artifice en se disant que c’était probablement la dernière fois, car il est de plus en plus question de les interdire.
Il y a quelques jours la première interdiction est tombée dans la ville de Rotterdam. Certains crient « c’est la tradition ». Mais qu’est-ce que ça veut dire la tradition ? A une époque, on brûlait des « sorcières », c’était la tradition. Heureusement, on a évolué.
Depuis le début de l’année, une pétition circule pour l’interdiction nationale des feux d’artifice. En dix jours, 650.000 personnes l’avaient déjà signée. J’en fait partie. Et vous ?

Retrouvez les Petites Chroniques des Pays-Bas
réunies dans un recueil

Excellent, comme d’habitude !
J’aimeAimé par 1 personne