Ambulance animalière

Vous connaissez ce geste universel du matin qui consiste à ouvrir les rideaux et la fenêtre de la chambre pour laisser l’air frais et la lumière envahir la pièce? En hiver, les pastels et le froid viennent vous saisir. En été, ce sont les chants des oiseaux. Chez nous, la vue donne sur une rangée de saule, un petit canal bordé de roseaux, un champ avec parfois des moutons, rarement des vaches, et enfin l’Uiterwaard, c’est à dire une zone inondable entre le lit d’été du fleuve, ici la Meuse, et la barrière extérieure de cette zone, la digue d’hiver. A la saison froide, des bernaches du Canada venues du Grand Nord y cherchent des graines et des herbacées. En été, l’après-midi, on entend le cri perçant d’une buse qui chasse les lapins. Le soir venu, lorsque le soleil qui se couche rosit la chambre, je m’extasie d’un concert de grenouilles.

Cet été, au petit-déjeuner, lorsque je buvais ma première tasse de café et que mon regard se perdait sur la vue, un pivert tambourinait sur le tronc d’un saule.  Jusqu’à un dimanche matin.  

Notre dix-ans entre en courant et me dit : « Viens vite, il y a quelque chose de magnifique dans le jardin ». Quelle merveilleuse notion de l’urgence et du magnifique chez les enfants. La vie se doit d’être dévorée tout rond. Un « quelque chose de super joli » est souvent une feuille en forme de cœur  ou un caillou ressemblant à un chapeau de sorcière. En sortant, je vois l’une de nos chattes, celle qui grimpe aux arbres et dont l’agilité lui a valu le surnom d’écureuil, avec des plumes dans la gueule.

« Là Maman, regarde ». En me penchant, j’aperçois une boule de plumes grosse comme une mangue, au bec long et pointu, à la tête rouge et aux ailes noires tachetées de blanc. J’ordonne à ma fille de faire rentrer notre deuxième chatte qui observe l’oiseau et n’attend qu’une chose : terminer le boulot de sa frangine. Nous ne sommes pas assez rapides et elle s’élance pour attaquer l’oiseau qui s’enfuit en claudiquant et en poussant des cris déchirants. Nous enfermons les chattes et ressortons pour secourir l’oiseau blessé, mais dans la broussaille du jardin, nous ne réussissons pas à le trouver. Nos voisins qui ont apprivoisé la famille de cygne qui vit sur le canal, ont également entendu le cri du pivert pic épeiche en détresse. Ils retrouvent l’oiseau sous ma voiture et réussissent à l’attraper à l’aide d’une épuisette. Il est blessé à l’aile mais il est encore bien vif.

L’opération sauvetage continue et nous décidons d’appeler l’ambulance animalière, service oh combien néerlandais. L’ambulance animalière est une association qui vit grâce aux dons et aux bénévoles. Elle vient en aide aux animaux en détresse : hérissons boiteux, chiens égarés, oies déplumées et piverts blessés. Les ambulanciers trouvent l’oiseau vivace et confirment qu’il va s’en sortir. Ils décident de l’envoyer au centre d’accueil pour oiseaux à Tilburg, à 25 kilomètres de chez nous où il sera soigné avant que sa liberté ne lui soit rendue.

Pour accompagner le café du matin, le pivert n’est plus là pour tambouriner sur le saule. A présent, un héron a élu domicile devant notre fenêtre. Cet oiseau, commun aux Pays-Bas, me transporte immédiatement dans un conte fabuleux ou une estampe japonaise. Je me plonge dans le journal et découvre que, pendant le premier confinement, des immigrés roumains travaillaient dans des abattoirs néerlandais dans des conditions sanitaires inhumaines, sans les gestes barrières. Nombreux sont tombés malades or une absence signifiait un licenciement, et se faire licencier était synonyme de se retrouver à la rue, car ils sont souvent logés par leur employeur. Les frontières étant alors fermées, ils ne pouvaient pas rentrer auprès de leurs familles en Roumanie. Je constate que dans un pays où l’on transporte en ambulance un pivert, il existe encore de l’esclavage et une hiérarchie de la valeur des vies. Je jette mon regard sur le bord du canal à la recherche d’un peu de douceur. Le héron prend son envol avec un petit poisson dans le bec. La poésie de l’instant se voit entacher d’un sentiment amer d’impuissance.

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2 réflexions sur “Ambulance animalière

  1. Je trouve votre parallèle entre l’ambulance animalière et les travailleurs roumains bien spécieux. Il n’y a rien d’étatisé dans tout cela. Il y a ici aux Pays-Bas comme partout de braves gens et des c… qui exploitent les autres. Cela n’a rien à voir avec « une hiérarchie de valeurs de vies  » qui aurait cours aux Pays-Bas ! La pandémie a mis beaucoup de gens dans des situations difficiles et a pointé de façon crue les manques d’hygiène au quotidien. Lisez les articles sur les conditions de travail des employés d’Amazon en France au début de la première vague… alors que l’entreprise n’a jamais été si florissante ! C’est édifiant. Il y a partout matière à s’indigner. Quant à parler d’esclavage… ce terme est tellement mis à toutes les sauces qu’il finit par ne plus correspondre à sa définition première.
    Mais oui, il y a ici une ambulance pour les animaux, et la chasse à la glu est interdite…

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    1. Bonjour,

      Merci de partager votre sentiment.

      Mes chroniques ne se veulent jamais exhaustives et sont écrites à la première personne du singulier. Elles sont donc subjectives. De plus, elles suivent souvent le cours des pensées d’un instant et peuvent ainsi paraitre spécieuses car elles montrent parfois que l’humain que je suis est plein de paradoxe et peut passer d’une pensée à l’autre soudainement.

      Ainsi en l’espace de quelques minutes, je ressens beaucoup de bonheur à pouvoir profiter de l’environnement dans lequel je vis mais parfois la beauté d’un instant, en un mouvement de tête (passant du canal au journal) peut être entaché d’une grande tristesse lorsque je vois ce qu’il se passe dans notre monde. Et en l’occurrence, à cet instant-là, j’ai ressenti beaucoup de tristesse de constater comment certains « humains » traitaient d’autres. Encore aujourd’hui… même dans un pays comme les Pays-Bas.

      Enfin le mot d’esclavage est utilisé ici selon sa définition première : « état de quelqu’un qui est soumis à une autorité tyrannique ». Dans l’exemple donné dans ma chronique, il s’agit bien de personnes soumises à une autorité tyrannique, de ces personnes qui elles ne peuvent pas profiter du magnifique de leurs enfants car elles sont loin de leur pays et se soumettent à une autorité tyrannique. La question du libre choix peut aussi être soulevée et discutée longuement lorsque l’on se penche sur la culture, la politique et l’économie de ce pays européen. Et cette nouvelle, comme tant d’autres, me rend triste car j’aimerais aussi que des gens, des bénévoles, leur viennent en aide pour les aider à prendre leur envol. Et tout cela provoque un sentiment amer d’impuissance.

      Amicalement,

      Océane.

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