Un monde rectangulaire

Il y a quelques jours, j’ai fait le plein d’essence. La dernière fois remontait à il y a quatre mois. Voilà un an que je suis en télétravail. Enfin un an et un mois. Quand même. Déjà. J’ai l’impression que la notion du temps a changé, comme si une forme de patience s’est installée accompagnée de gros moments d’impatience. Une semaine est devenue un mois qui est devenu une année. On est dans l’attente de sortie de crise, de retour à un nouveau normal et on ne sait plus quel jour on vit. Pourtant, on aimerait bien qu’il s’accélère ce temps, que l’on puisse voyager, s’embrasser, bref vivre.

Au début de la crise sanitaire, en mars l’année dernière, nous pensions pour les plus réalistes que nous serions confinés jusqu’à l’été. Cela nous semblait une éternité. Nous voici un an plus tard et nous savons que cet été, le deuxième de la crise, la situation ne sera pas résolue. Nous savons que le virus va muter car certains pays ne vaccinent pas. Nous avons parlé du monde d’après, mais le monde d’après nous y sommes peut-être déjà. C’est peut-être un monde avec en permanence un virus et la peur de l’autre.

Comme 75% des néerlandais, je mets mes espoirs dans la vaccination. Pourtant aux Pays-Bas, seuls 12% de la population a reçu sa première injection, tandis que les Etats-Unis en sont à 35%. En France, l’échéancier est clair, mais la majorité des français ne veut pas se faire vacciner. On me demande tous les jours, comme si le fait d’être française me transformait en porte-parole de l’Hexagone: « Mais pourquoi les Français ne veulent-ils pas être vaccinés ? ». Je suppose de la peur, de la théorie de complot, du manque de confiance dans les autorités et les laboratoires, mais je n’ai pas de réponse. Je suis française mais je vis depuis tellement longtemps aux Pays-Bas que je suis déconnectée du sentiment français. Donc en bonne Néerlandaise, j’attends avec impatience d’être vaccinée.

Les Pays-Bas sont connus pour leur capacité de gestion de la logistique, pensons au port de Rotterdam. Depuis vingt ans que je vis aux Pays-Bas, je n’ai jamais attendu quelque part. Tout est bien organisé et efficace. Par exemple, un rendez-vous chez le médecin n’est pas un projet, ça prend quinze minutes. Point.

Alors aujourd’hui que se passe-t-il ? Ils promettent qu’en juillet tout le monde sera vacciné. Mais le pays manque de vaccins.

En attendant, je me dis qu’il faut peut-être comme en France reconfiné au lieu d’assouplir. Mais non, le gouvernement passe son temps à écouter les groupes d’intérêts. Celui qui crie le plus fort sera entendu. Moi je dois appartenir à un groupe qui ne crie pas assez fort. C’est silencieux la lecture et l’écriture. Il faut prendre rendez-vous pour aller dans une librairie tandis que les magasins de vins et spiritueux sont ouverts. Les musées sont toujours fermés tandis que les églises sont ouvertes. Mon groupe n’a pas fait entendre que la lecture est une première nécessité et que la culture est une religion.

Le manque de cohérence de la politique néerlandaise m’insupporte. J’ai l’impression que les objectifs changent en permanence. Un temps on écoute les hôpitaux et on confine. Puis on écoute les parents qui veulent télétravailler tranquillement et on réouvre les écoles. Si nous sommes infectés, ce sera par le biais de l’école. Nos enfants ont déjà été plusieurs fois cas contact.

J’aime le calme, mais il y a des limites. J’ai l’impression de vivre dans un monde rectangulaire, comme nos écrans, seuls liens avec l’extérieur, comme nos promenades autour de nos quartiers, comme les bouts de tissu sur nos visages.

Je sais qu’il faut lâcher prise, qu’il faut s’occuper comme on peut.  Alors on va marcher le midi, puis le soir, puis tout le week-end. On marche sous la pluie torrentielle et on est heureux d’avoir les cuisses trempées. On renforce notre système immunitaire. Et puis c’est notre seule sortie de la journée, alors il faut bien en profiter.

On ne va quand même pas se tourner vers la religion et aller noyer notre ennui dans l’alcool pour appartenir au groupe qui est entendu.

Mais que le temps est long.

Aardenburg, Pays-Bas

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