Dropping

Depuis que je vis aux Pays-Bas, lorsque je dis que je viens du Sud de la France, les Néerlandais me demandent souvent : « mais la France ne te manque pas ? » Je leur explique alors que la qualité de vie ne se mesure pas seulement au nombre de pastis bus à l’ombre d’un platane, les doigts de pieds nus dans des sandales en cuir turquoise. Les Néerlandais, désireux de comprendre, enchaînent souvent sur la question : « mais qu’est ce qui te manque alors ? »

Ils pensent au soleil, à une baguette croustillante, à Charles Aznavour (je ne sais pas non plus pourquoi Charles Aznavour). Ma réponse est tout autre.

Ce qui me manque aux Pays-Bas, c’est la nature sauvage et son silence. Avec  421 habitants au km² contre 106 habitants au km² en France, la géographie néerlandaise est bien différente. Le pays est urbanisé et les espaces naturels sont limités. Limités mais entretenus et organisés à l’extrême. Pratiquement toutes les zones de natures sont balisées. Certains parcs naturels ont même des chemins réservés pour les cavaliers, d’autres pour les VTT et d’autres pour les marcheurs. Partout on trouve des balises. Pas un vague trait rouge avec un trait blanc, non un petit panneau avec un numéro. Ça frôle le parc d’attractions. Être dans une forêt sans chemin à plusieurs heures de marche de la civilisation où je n’entendrais que le vent dans les feuilles, et non l’autoroute, me manque (Lire aussi l’article: Randonnées en montagne).

Pour répondre à leur appel de la forêt, les Néerlandais aiment organiser des dropping. Le principe est de larguer une personne à l’aveugle dans la nature et de la laisser venir à une point de rendez-vous par ses propres moyens. C’est comme une course d’orientation sans connaître le point de départ. Ainsi mon quinze ans, en bon petit Néerlandais, a voulu être droppé dans la nature avec un copain. Ils se sont bandés les yeux dans la voiture et je les ai accompagnés pour leurs premiers deux cent mètres à l’aveugle. Je leur ai donné une photo satellite du lieu de rendez-vous, une carte topographique et une boussole. J’avais prévu que leur marche durerait au minimum une heure trente. Le but du jeu était bien évidemment de ne pas utiliser leurs téléphones. Enfin je les ai abandonnés avec leurs sacs à dos au bord d’un ruisseau. Je suis partie les attendre dix kilomètres plus loin en terrasse avec un cappuccino, en essayant de ne pas les imaginer perdus et déshydratés. Immédiatement je me suis rappelée que nous n’étions pas dans mon village natal au cœur des Alpes. Un dropping dans le Vercors aurait voulu dire des heures de marche sans route, sans rencontrer personne, avec des scialets, des grottes, des falaises calcaires et des zones non couvertes par un réseau mobile. Bref de la nature, de la vraie, de celle qui me manque. Mais aux Pays-Bas, dans un pays où l’on est toujours à proximité d’une route, d’un panneau, d’un randonneur, je n’avais aucun souci à me faire. Lorsque mon fils avait lancé l’idée, j’avais été surprise par l’enthousiasme des parents du copain. Je m’attendais à un interrogatoire pour s’assurer de la sécurité des enfants, mais à la place la mère m’a dit : « sympa, un peu d’aventure ». Ici, tout le monde trouve cela amusant et éducatif. Un grand classique même. Lors de l’entrée au collège, pour créer une unité dans la classe, les enfants sont souvent droppés en groupe, de nuit, dans les bois. Mais en expliquant l’aventure de mon fils à une française, j’ai eu l’impression d’être une mère totalement irresponsable à la limite de la maltraitance même, obligée de rappeler le contexte géographique. Je n’ai pas largué les enfants au fin fond d’une forêt canadienne au milieu des grizzlis, mais dans un pays surpeuplé et sur-balisé. Leur grand moment d’adrénaline a été un chihuahua échappé d’une ferme leur aboyant dessus. Finalement, les garçons étant totalement désorientés pendant la première heure et refusant de demander leur route à des passants ont mis trois heures à arriver. Mais ils étaient ravis de leur matinée. Nous avons conclu que la prochaine fois, pour ajouter de la difficulté, nous ne leur donnerions pas de carte.

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