En sucre

Au volant, en route vers la France, l’excitation de rentrer chez moi m’envahit. Après une traversée interminable de la Belgique, j’entre dans l’Hexagone par Thionville. Je baisse la vitre mais ne reconnais pas encore les odeurs de forêt ou de garrigue qui sont synonymes de retour à la maison.  Immédiatement cependant j’ai un énervé dans le pare-chocs arrière qui me fait un appel de phares pour que je libère la voie de gauche. Je suis bien de retour en France. La radio grésille et je me connecte à une station locale. La chanson est française mais je ne connais pas l’artiste. Bien gentiment, je me rabats sur la voie de droite. Au niveau de Metz, je fais une pause sur  une aire de repos et cherche une place de parking, une vraie place, pas une en double-file ou à moitié sur le trottoir devant les toilettes parce qu’il pleut et que j’ai peur des gouttes.

Je suis dans mon pays et pourtant, dès la frontière, je suis en décalage. Mon expatriation m’a néerlandisée.

Ma relation à la météo a changé. La pluie n’est plus une excuse. Lorsque j’étais étudiante à Aix-en-Provence, je courrais avec une copine néerlandaise. Au moindre risque d’averse, j’annulais notre entrainement. Elle me disait : « on n’est pas en sucre ». Aujourd’hui, c’est moi qui trouve qu’il n’y a pas de mauvais temps, juste de mauvais vêtements. J’ai une veste étanche, longue et à capuche qui me permet d’être dehors par tous les temps. J’ai également changé ma garde-robe. Mes ballerines prennent la poussière. En hiver, je ne porte plus que de grosses chaussures fourrées et étanches, de la pompe tout-terrain conçue pour la boue et les flaques. Dans le domaine de l’élégance, j’avoue aussi avoir fait porter à mes enfants des chaussettes dans leurs sandales. J’avais peur qu’ils aient des ampoules. Et froid aux pieds. Je sais. Je sais… D’ailleurs mon quinze ans a récemment posé un doigt accusateur sur une photo de lui à l’âge de 4 ans : « Mais Maman, c’était quoi ce look ? Tu sais que ça frôlait la maltraitance ».

Sur l’aire de repos, je vais acheter un croissant et je réalise que je ne sais plus combien coûte une viennoiserie ou une baguette. Je dois attendre à la caisse. Cela m’agace. Aux Pays-Bas, j’ai appris à ne plus attendre. D’ailleurs, je ne discute plus avec les caissières car les gens derrière vont s’impatienter. Et la fille devant, elle ne peut pas payer en sans-contact plutôt que de gratouiller sa monnaie.

Je reprends la route. Il me reste de nombreuses heures à rouler mais je fais facilement mille kilomètres toute seule à présent. Paradoxe, faire une heure de route aux Pays-Bas s’apparente à aller au bout du monde. En France, on allait vite faire un petit aller-retour du Luberon à Marseille, ce n’était qu’à une heure de voiture. Ici, aller à Amsterdam semble une expédition car «  c’est à une heure quand même ».

Je quitte l’autoroute et entre dans une ville. Je m’arrête au passage piéton pour laisser traverser une dame appuyée sur sa canne. Elle s’approche de ma vitre et me dit : « Merci ma petite fille. Ce sont tous des malappris. Ils vous écraseraient. » Elle m’arrache un sourire même si je suis tendue dans la circulation urbaine française avec les queues de poisson et le non-respect des limitations de vitesse. Elle est loin l’époque où j’insultais les chauffeurs de taxi marseillais en leur grillant la priorité. Des vélos jaillissent de droite, de gauche, sont dans mon angle mort. Depuis quelques années, aux Pays-Bas, j’utilise mon vélo le plus souvent possible mais je n’ai aucun mérite. Il y a partout des pistes cyclables respectées par les automobilistes, des parking à vélo surveillés et gratuits en ville (Lire aussi mon article sur le vélo aux Pays-Bas: F59). Je suis admirative des vélo cyclistes français qui affrontent confiants les routes mal entretenues, les doubles files, les gaz d’échappement, les portières ouvertes sans regarder. Je les trouve même un chouya suicidaire.

J’arrive à ma destination et je me dis que je cherche peut-être des excuses dans mon expatriation. Je devrais peut-être admettre que ce n’est pas le pays mais les années qui m’ont fait changer.

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3 réflexions sur “En sucre

  1. Chère Océane, bonjour! Comme c’est reconnaissable. Nous sommes vraiment – toi et moi et d’autres – dans l’entre-deux. Et en fait, on s’y trouve bien, avec de la liberté et du recul. N’empêche que cette photo vaut le voyage et me donne des envies d’éclaboussures! Amitiés, Sylvain

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  2. Bonjour,

    Je suis arrivée depuis peu aux Pays Bas mais je ressens déjà ce décalage ! Comme vous, mes escarpins dorment dans un placard ; je suis également devenue une adepte du vélo et la dernière fois que j’ai oublié ma cape de pluie, pris l’averse et que je suis rentrée chez Praxis complètement trempée, personne n’y a prêté attention. En France, on m’aurait sans doute dévisagée de la tête aux pieds ! Chaque fois que je retourne en France, pour voir mes amis ou ma famille, je ressens un petit pincement au coeur. La France est mon pays mais j’ai de plus en plus de mal à supporter l’agressivité, l’état de nos villes et de nos routes. Et j’ai vite envie de rentrer retrouver les canaux, les pistes cyclables et le fromage hollandais !!! Merci pour ce bel article. Sophie

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