Sur les gencives

Le mois de juillet approche et les Néerlandais répètent : « Vivement les vacances, je marche sur les gencives », traduire je me traîne. Après les tournois de clôture de saison du hockey et du foot, les trois jours de marche (lire : Les trois jours des bonbons), la journée internationale de la famille, la fête de l’école, la semaine de la boue, l’anniversaire des institutrices, le samedi rose, les Néerlandais n’en peuvent plus et ne rêvent que d’une caravane en plein soleil dans un camping piscine-karaoké du pourtour méditerranéen pour se remettre de leur année bien remplie.

Un cinquième des Néerlandais migrent en France en été pour fuir le pays et ses incertitudes climatiques. Beaucoup espèrent être un peu comme chez eux, entre compatriotes, à manger leurs tartines au vermicelle de chocolat et parler leur langue. Ils considèrent que l’on doit leur parler anglais et qu’il n’est pas nécessaire de parler français. Bref, ils veulent pour leurs congés la France et son soleil mais pas les Français.

Pourtant un journal titrait la semaine dernière « La France sans les Néerlandais, oui c’est possible ». Aspirent-ils à une France plus authentique ? Les Néerlandais croient coloniser l’Hexagone pendant la période estivale, mais ils ne connaissent pas tous les trésors cachés de notre pays. Ils partent en masse en Ardèche, en Dordogne (prononcé Dodogne), sur la Côte d’Azur et pensent connaitre la France, alors qu’ils ne connaissent que l’Ardèche, la Dodogne et la Côte d’Azur. Ils quittent un pays surpeuplé pour des plages et des campings surpeuplés. Je ne sais pas comment ils arrivent à se recharger dans la foule et le bruit. 

Je ne veux pas généraliser, certains partent en Scandinavie, en Allemagne, dans les Alpes ou même en dehors de l’Europe, mais ils ne sont pas majoritaires parmi les Néerlandais avec de jeunes enfants. D’autres choisissent des clubs de vacances pour mouton : on va en troupeau vers la plage, en troupeau vers le déjeuner, puis en troupeau autour de la piscine. Il s’agit vraiment de vacance, au singulier, dans le sens d’un temps de vide. Personnellement après deux jours de piscine-repas-piscine-repas, j’ai l’impression d’être un veau d’élevage engraissé pour l’abattoir et j’observe un appauvrissement de mon état mental. Autour de moi, les visages ne sont pas épanouis, les pieds en claquettes raclent les pelouses bien arrosées et je vérifie rapidement à la réception que je suis bien dans un hôtel et non en maison de repos. Mon seul désir est alors de sortir du club de vacance(s) et de m’intéresser à l’âme du pays.
Par ailleurs, c’est amusant de s’arrêter un instant sur la sémantique et de bien faire la différence entre les vacances et le voyage. Avant un séjour au Cap Vert, les Néerlandais m’ont souhaité de bonnes vacances m’attendant de pied ferme pour vérifier l’état de mon bronzage qui attesterait de la réussite de mon séjour. Ma mère quant à elle m’a souhaité de faire un beau voyage et c’est ce que ça a été. Je ne suis pas rentrée très bronzée mais avec des couleurs, des musiques, des saveurs et des odeurs plein la tête.

Parfois j’ai l’impression que certains Néerlandais partent en vacances et non en voyage, même quand ils auraient l’occasion de découvrir une autre culture. Ont-ils peur de l’inconnu ?  Car il faut admettre que lorsqu’ils ont des copains à l’étranger, ils vont facilement leur rendre visite. Ils empruntent alors un chemin balisé. A l’époque où nous vivions en France, d’avril à octobre, nous avions l’impression de tenir une chambre d’hôte. Nous habitions dans le Luberon certes, mais j’ai la conviction que si nous nous installions autour du cercle polaire dans une baraque en tôle chauffée à la graisse de phoque, nous aurions tout autant de copains néerlandais désireux de fuir leur pays pour squatter notre canapé lit.

Pour nous cet été, en bon Néerlandais, nous allons également fuir les Pays-Bas pour un coin caché, loin de la foule, loin du bruit. Lors de notre retour aux sources, il n’y aura ni inconnu, ni découverte autre que de nous-même. Et en août, nous profiterons avec un grand plaisir des Pays-Bas, des rues désertées, du silence enfin réalité dans notre jardin, en attendant d’entamer la nouvelle année avec la fête des voisins.

Photo d'AmsterdamAmsterdam

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