Deux minutes de silence

Le mois de mai est celui des ponts et des jours féries en France. Aux Pays-Bas, on célèbre la libération le 5 mai. Cette journée n’est cependant un jour férié qu’une fois tous les cinq ans et avant de fêter la liberté, la veille, tous les ans, les Pays-Bas rendent hommages aux victimes néerlandaises, civiles ou militaires, mortes depuis la Seconde Guerre Mondiale en temps de guerre ou lors d’opération de maintien de la paix, aux Pays-Bas ou à l’étranger. Lors de la Journée Nationale du Souvenir, le 4 mai, la commémoration consiste en une cérémonie et les activités du pays cessent pendant deux minutes de silence.

La plus grande commémoration du pays a lieu à Amsterdam, en présence du roi, Willem-Alexander (lire aussi: Willy) et des membres du gouvernement. Elle est retransmise à la télévision et les images prises par des drones montrent une place noire de monde. Le lieu peut accueillir jusqu’à 20 000 personnes.

Vous allez me dire : « c’est comme le 8 mai en France ». Oui, mais non.

En France qui regarde les commémorations du 8 mai ? En France qui met des drapeaux en berne devant sa maison ? En France qui fait une minute de silence ?

Aux Pays-Bas, le 4 mai, à 20h00, tout le monde respecte les deux minutes de silence : devant les monuments aux morts, devant la télévision, sur la route où les automobilistes s’arrêtent et se garent pour se recueillir, dans les aéroports ou dans les avions néerlandais. Pendant deux minutes, tous se souviennent que la liberté est un droit mais qu’elle n’est jamais acquise, qu’il a fallu se battre, qu’il faut encore se battre et qu’il faudra encore se battre, qu’il ne faut pas oublier, que l’histoire est là pour nous éviter de refaire les mêmes erreurs.

J’ai conscience de la naïveté de mes propos au lendemain des résultats français des élections européennes. L’histoire s’oublie. L’histoire se répète.

C’est pour cela qu’en France aussi, il faudrait ne pas oublier le prix de cette liberté.

Au lieu d’organiser un barbecue en ce jour chômé, j’aimerais, comme aux Pays-Bas, que mes compatriotes sentent la responsabilité qu’ils portent de se remémorer ceux qui sont morts pour eux, pour nous. Comme aux Pays-Bas, les écoles pourraient être impliquées dans les commémorations. Comme après Charlie ou le Bataclan, des rassemblements silencieux pourraient célébrer la paix.

Nous avons suivi les commémorations du 4 mai à la maison devant la télévision.

Mes enfants ont regardé cette dame de 93 ans en tenue du dimanche, s’accrochant au bras de sa petite fille, déposer une couronne en souvenir des innocents tués pendant la guerre, en souvenir de son jeune frère tué par balle à l’âge de 13 ans. Sous ses sourcils broussailleux, son regard encore plein d’effroi semblait chercher dans la foule silencieuse le visage de celui qui n’aura pas eu le droit de devenir adulte.

Mes enfants ont regardé ce vétéran dans un fauteuil roulant, poussé par son arrière-petite-fille, déposer une couronne pour les victimes civiles mortes en Asie. Sur l’écran géant, la jeune femme a expliqué qu’il est de notre devoir de continuer à raconter leur histoire, notre histoire. Puis le monsieur, tombant presque de son fauteuil, a mis toute son énergie dans son bras droit qu’il a soulevé en tremblant pour un salut militaire.

Mes enfants ont regardé cette dame de 90 ans aux longs cheveux blancs tirés et attachés par une fleur turquoise assortie à son regard perçant, au châle noir brodé de fleurs multicolores, aux escarpins rouges vernis à poids blancs, accompagnée de ces petits neveux, déposer une couronne en souvenir de sa famille qui a été déportée car ils étaient tziganes. Sa petite fille a raconté que sa grande tante a pu être sauvée grâce à des justes qui l’ont cachée.

N’oublions pas que le chapitre noir de notre histoire contemporaine s’est ouvert au terme d’une élection démocratique.

Le droit de vote devrait s’accompagner de devoirs; le devoir de s’informer, le devoir de connaître notre histoire, le devoir de respecter deux minutes de silence pour ceux morts pour la liberté car cette dernière se mérite, se chérit, et n’est jamais acquise.

Jamais.

4 mai , Journée Nationale du Souvenir

Biographie et contact

Une réflexion sur “Deux minutes de silence

  1. Comme vous avez bien décrit ce moment de recueillement et de souvenir, qui depuis 30 ans m’émeut autant chaque année. Espérons en effet que ce souvenir permettra de ne pas refaire les mêmes erreurs.
    Il me semble par contre que les écoles primaires sont souvent impliquées (peut-être à tour de rôle) mais au niveau local, en préparation et lors de la cérémonie du monument aux morts.

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